La face sombre de la laine mérinos : pourquoi nous privilégions les laines locales

Une laine douce mais un élevage intensif et douloureux

L’émission « Sur le Front » présentée par Hugo Clément s’est intéressée aux laines locales face à l’attrait grandissant pour la laine mérinos importée d’Australie. Bien que cette fibre soit appréciée pour sa douceur et sa finesse, la réalité derrière sa production est beaucoup moins idyllique. Les moutons mérinos ont été sélectionnés génétiquement pour produire toujours plus de laine : leur peau comporte davantage de plis et de follicules que les autres races, ce qui augmente la densité de la toison. Cette reproduction sélective a conduit à une surproduction de plis cutanés, en particulier sur l’arrière‑train des moutons. Les excès de peau retiennent l’humidité et les excréments, ce qui favorise les infections par les mouches (myiases). Pour augmenter la surface de production, certaines lignées ont même été élevées avec une peau très fripée, croyant que « plus de plis signifie plus de laine » – une idée reçue que des éleveurs australiens remettent aujourd’hui en cause.

De plus, les mérinos modernes sont incapables d’arrêter la croissance de leur toison. Comme le rappelle la revue Spin Off, ces moutons ont été sélectionnés pour un croissance continue de la laine et ont donc besoin d’être tondus régulièrement ; sans tonte, la laine pousse de manière incontrôlée et peut couvrir leurs yeux (« wool blindness ») et entraver leurs mouvements. Ces caractéristiques sont le résultat d’un élevage intensif où l’animal n’est plus qu’une machine à produire des fibres.

Mulesing : l’envers d’une fibre « douce »

La conséquence la plus controversée de cette sélection est la pratique du mulesing, ou « mutilation des agneaux ». En raison des plis profonds dans la région de la croupe, les mouches pondent des œufs qui provoquent des myiases potentiellement mortelles. Pour lutter contre ces infestations, les éleveurs australiens immobilisent des agneaux âgés de 2 à 12 semaines et coupent une partie de la peau sur l’arrière‑train à l’aide de cisailles. Selon les partisans de cette mutilation, la cicatrice lisse obtenue empêcherait les mouches de s’installer. Toutefois, les normes d’anesthésie avant l’intervention sont insuffisantes : la plupart des agneaux subissent l’opération sans analgésique et les jeunes animaux endurent un stress et une souffrance extrême. L’organisation PETA souligne que, souvent, de grands morceaux de peau et de chair sont arrachés sans antidouleur ; après la mutilation, les agneaux marchent de travers tant la douleur est intense et les plaies mettent des semaines à guérir. Ironiquement, ces plaies à vif peuvent elles‑mêmes attirer les mouches et provoquer la myiase que l’on cherchait à prévenir.

Cette pratique est largement répandue en Australie : environ 70 % des moutons mérinos y étaient encore mutilés en 2019, tandis que la Nouvelle‑Zélande l’a interdite depuis 2018. Des associations comme Quatre Pattes rappellent que les moutons mérinos ont été élevés pour produire une laine fine et très abondante ; cette sélection a conduit à un excès de peau sur la croupe, zone à risque pour la myiase. Chaque année, plus de dix millions d’agneaux subissent cette mutilation et la guérison est longue et douloureuse.

Des alternatives et des critiques grandissantes

Les critiques se multiplient contre le mulesing et l’élevage intensif de mérinos. Des éleveurs australiens démontrent que des moutons sans plis peuvent produire une laine de qualité équivalente, voire supérieure : les animaux sont plus résistants au climat, plus fertiles et ne nécessitent pas de mutilations. La filière laine elle‑même constate que la demande mondiale se tourne vers des fibres issues d’animaux non mutilés et que des marques exigent déjà des garanties. Des associations de protection animale appellent à sélectionner des animaux avec moins de plis et à privilégier des traitements préventifs comme la tonte localisée (« crutching ») ou l’utilisation d’insecticides respectueux de l’animal. Certaines organisations recommandent même d’opter pour des fibres végétales ou des laines produites dans des pays où le mulesing est interdit.

Un impact environnemental non négligeable

Au‑delà du bien‑être animal, la production de laine mérinos a un impact climatique important. Selon le site Géopélie, 1 kg de laine conventionnelle émet environ 80,3 kg de CO₂ équivalent en raison des émissions de méthane et de protoxyde d’azote lors de l’élevage des ovins. La production de laine mérinos est du même ordre : environ 73,8 kg de CO₂ équivalent par kilo, avec 800 litres d’eau nécessaires pour laver les fibres. Ces émissions sont beaucoup plus élevées que celles de fibres végétales comme la viscose (10,1 kg CO₂ eq/kg). La forte demande en pâturages contribue également à la dégradation des sols, et l’élevage intensif au long cours nécessite de vastes surfaces arides en Australie ou en Patagonie. Des études montrent qu’en Australie, environ 109 acres sont nécessaires pour produire une balle de laine, soit des centaines de fois plus de surface que pour des fibres végétales, et qu’au niveau mondial, la phase d’élevage représente près de la moitié du potentiel de réchauffement planétaire associé à la laine.

Laine des Pyrénées de la marque Mont Valier

Laines locales : une alternative rustique mais vertueuse

Face à ces dérives, nous avons fait un autre choix chez Mont Valier : valoriser des laines locales issues de nos montagnes. En France, la filière laine s’est effondrée au XXᵉ siècle et de nombreux éleveurs se sont tournés vers des races à viande ou à lait, reléguant la laine au rang de déchet. Les prix payés aux éleveurs ne couvrent même plus le coût de la tonte, si bien que la toison est souvent stockée ou jetée. Dans ce contexte, notre démarche consiste à collecter cette laine « oubliée » pour lui redonner de la valeur. Les moutons des Pyrénées, des Tarasconnaises ou des Causses sont élevés principalement pour la viande ou le lait ; leur laine est plus rustique et plus épaisse que celle des mérinos, mais elle provient d’animaux tondus pour leur bien‑être. Comme l’explique la vétérinaire Jen Burton, la tonte est indispensable : sans elle, les moutons risquent la surchauffe, les parasites et des problèmes de mobilité. Même lorsque la laine n’a pas de marché, les éleveurs paient la tonte comme acte de soin. La tonte annuelle évite aussi que la laine couvre les yeux ou entrave la marche des brebis.

En choisissant des laines locales, nous réduisons l’empreinte carbone liée au transport et soutenons des éleveurs qui élèvent leurs brebis pour la viande ou le lait, sans chercher à surproduire de la laine. Notre laine est plus rustique : elle conserve une texture et un caractère authentiques, parfois plus robuste au toucher que la mérinos, mais elle est plus vertueuse car elle valorise un sous‑produit négligé et respecte mieux l’animal et les écosystèmes locaux. Elle incarne une économie circulaire et de proximité, en accord avec notre territoire.

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Notre laine est imparfaite !